La clause de conciliation préalable : un impératif juridique souvent négligé

La clause de conciliation préalable, dispositif contractuel visant à favoriser le règlement amiable des différends, se trouve fréquemment ignorée par les parties en litige. Cette négligence, loin d’être anodine, peut entraîner des conséquences juridiques significatives et compromettre la recevabilité d’une action en justice. Face à la multiplication des contentieux et à l’engorgement des tribunaux, le respect de cette clause revêt une importance croissante dans le paysage judiciaire français. Examinons les enjeux et implications du non-respect de cette obligation contractuelle.

Fondements juridiques et objectifs de la clause de conciliation préalable

La clause de conciliation préalable trouve son fondement dans le principe de liberté contractuelle consacré par l’article 1102 du Code civil. Elle s’inscrit dans une démarche de justice participative encouragée par les pouvoirs publics et la jurisprudence. Son objectif principal est de favoriser le dialogue entre les parties pour tenter de résoudre leurs différends à l’amiable avant tout recours judiciaire.

Cette clause répond à plusieurs finalités :

  • Désengorger les tribunaux en réduisant le nombre de litiges portés devant eux
  • Accélérer la résolution des conflits
  • Préserver les relations commerciales entre les parties
  • Réduire les coûts liés aux procédures judiciaires

La Cour de cassation a confirmé la validité et le caractère obligatoire de ces clauses dans plusieurs arrêts, notamment celui du 14 février 2003 qui pose le principe selon lequel le non-respect d’une clause de conciliation préalable constitue une fin de non-recevoir.

La mise en œuvre de cette clause implique généralement la désignation d’un conciliateur ou d’un médiateur chargé de faciliter les échanges entre les parties. Le processus de conciliation doit être mené de bonne foi, avec une réelle volonté de parvenir à un accord.

Conséquences juridiques du non-respect de la clause

Le non-respect de la clause de conciliation préalable entraîne des conséquences juridiques significatives qui peuvent compromettre l’action en justice de la partie défaillante. La jurisprudence a progressivement défini le cadre et les effets de cette inobservation.

La principale conséquence est l’irrecevabilité de l’action en justice. En effet, le non-respect de la clause constitue une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du Code de procédure civile. Cette fin de non-recevoir peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel.

La Cour de cassation a confirmé cette position dans plusieurs arrêts, notamment celui du 6 mai 2003, où elle a jugé que « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent ».

Les effets du non-respect de la clause sont les suivants :

  • Rejet de la demande en justice sans examen au fond
  • Condamnation aux dépens de la partie ayant introduit l’action
  • Possibilité de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il est à noter que l’irrecevabilité de l’action n’est pas définitive. La partie défaillante peut régulariser sa situation en mettant en œuvre la procédure de conciliation prévue au contrat, puis réintroduire son action si la conciliation échoue.

Exceptions et limites à l’application de la clause

Bien que le principe du respect de la clause de conciliation préalable soit fermement établi, la jurisprudence a dégagé certaines exceptions et limites à son application. Ces tempéraments visent à éviter que la clause ne devienne un obstacle disproportionné à l’accès au juge.

La première exception concerne l’urgence. Lorsqu’une situation requiert une intervention judiciaire immédiate, le juge des référés peut être saisi sans mise en œuvre préalable de la procédure de conciliation. Cette exception a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 31 octobre 2018.

Une autre limite tient à la mauvaise foi de l’une des parties. Si une partie refuse manifestement de participer à la conciliation ou adopte un comportement dilatoire, l’autre partie peut être autorisée à saisir directement le juge. Cette solution a été retenue par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 7 février 2017.

La prescription constitue également une limite à l’application de la clause. Si le délai de prescription est sur le point d’expirer, la partie peut saisir le juge pour interrompre la prescription, même si la procédure de conciliation n’a pas été mise en œuvre.

Enfin, la clause peut être écartée si elle est jugée abusive dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, conformément à l’article L. 212-1 du Code de la consommation.

Rôle du juge face au non-respect de la clause

Le rôle du juge dans l’appréciation du respect de la clause de conciliation préalable est crucial. Il doit veiller à l’application effective de la clause tout en garantissant le droit d’accès au juge consacré par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le juge doit d’abord vérifier l’existence et la validité de la clause. Il s’assure que la clause est suffisamment précise et qu’elle prévoit une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge.

Ensuite, le juge examine si la clause a été effectivement mise en œuvre. Il ne peut relever d’office le non-respect de la clause, cette fin de non-recevoir devant être invoquée par les parties.

Si le juge constate que la clause n’a pas été respectée, il doit en principe déclarer l’action irrecevable. Toutefois, il dispose d’un pouvoir d’appréciation pour évaluer si le non-respect de la clause est justifié par des circonstances particulières.

Le juge peut notamment :

  • Accorder un délai aux parties pour mettre en œuvre la procédure de conciliation
  • Ordonner une médiation judiciaire en lieu et place de la conciliation contractuelle
  • Écarter la clause s’il estime qu’elle constitue un obstacle disproportionné à l’accès au juge

La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 29 avril 2014 que le juge doit motiver sa décision d’écarter la clause de conciliation préalable, sous peine de cassation.

Stratégies pour prévenir et gérer le non-respect de la clause

Face aux risques liés au non-respect de la clause de conciliation préalable, il est essentiel pour les parties et leurs conseils d’adopter des stratégies préventives et curatives.

En amont, lors de la rédaction du contrat, il convient de :

  • Formuler la clause de manière claire et précise
  • Définir les modalités concrètes de mise en œuvre de la conciliation
  • Prévoir des délais raisonnables pour chaque étape de la procédure
  • Anticiper les cas d’urgence ou de prescription imminente

En cas de survenance d’un litige, il est recommandé de :

  • Vérifier systématiquement l’existence d’une clause de conciliation préalable avant toute action en justice
  • Mettre en œuvre la procédure de conciliation dès l’apparition du différend
  • Documenter précisément les démarches entreprises pour respecter la clause
  • En cas d’échec de la conciliation, obtenir un procès-verbal de non-conciliation avant de saisir le juge

Si la clause n’a pas été respectée et que l’action en justice est déclarée irrecevable, il est possible de :

  • Solliciter un délai pour régulariser la situation
  • Proposer une médiation judiciaire
  • Démontrer l’existence de circonstances justifiant le non-respect de la clause

Enfin, il est crucial de sensibiliser les acteurs économiques à l’importance du respect de ces clauses, non seulement pour éviter les sanctions judiciaires, mais aussi pour favoriser une résolution amiable des conflits, souvent plus rapide et moins coûteuse qu’une procédure contentieuse.

Perspectives d’évolution du cadre juridique

Le cadre juridique entourant les clauses de conciliation préalable est en constante évolution, reflétant la volonté des pouvoirs publics de promouvoir les modes alternatifs de règlement des différends. Plusieurs pistes de réflexion se dessinent pour l’avenir.

Une première tendance consiste à renforcer le caractère obligatoire de ces clauses. Certains proposent d’étendre leur champ d’application à certains types de contentieux, voire de les rendre systématiques dans certains domaines du droit des affaires.

Une autre piste envisagée est l’harmonisation des pratiques au niveau européen. Le Parlement européen a adopté une résolution en 2017 encourageant le recours à la médiation dans les litiges civils et commerciaux transfrontaliers. Cette initiative pourrait aboutir à une directive européenne sur les clauses de règlement amiable des différends.

La question de la sanction du non-respect de la clause fait également débat. Certains auteurs proposent de remplacer l’irrecevabilité de l’action par une suspension de la procédure, permettant ainsi de concilier le respect de la clause avec le droit d’accès au juge.

Enfin, le développement des technologies de l’information ouvre de nouvelles perspectives pour la mise en œuvre de ces clauses. La conciliation en ligne ou « online dispute resolution » pourrait faciliter et accélérer les procédures de règlement amiable des différends.

Ces évolutions potentielles témoignent de l’importance croissante accordée aux modes alternatifs de règlement des différends dans notre système juridique. Elles invitent les praticiens du droit à rester vigilants et à adapter leurs pratiques pour répondre aux exigences d’une justice plus participative et efficiente.